Présentation
La Mahâmudrâ (Grand Symbole) est l’une des doctrines les plus importantes des enseignements tantriques supérieurs. Si elle est en fait pratiquée par toutes les traditions tibétaines, elle a été, dans l'esprit des chercheurs occidentaux, longtemps associée à l'école Kagyüpa, mais son attribution quasi-exclusive à cette tendance est largement abusive.
L'origine du Grand Symbole remonte au sage Tilopa (988-1069) qui en aurait reçu les principes du Buddha Samantabhadra. Tilopa en donna la transmission à son élève Nâropa (1016-1100). Le traducteur Marpa Chökyi Lodrö (1012-1096) fut, pour les écoles Kagyüpas, l'instrument essentiel de leur diffusion au Tibet.
L'origine des instructions du Grand Symbole dans la tradition réformée des Gelukpa est totalement différente. Elle remonte au Buddha Vajradhara qui en donna la transmission au bodhisattva Mañjushrî ; celui-ci la révéla à Tsongkhapa (1357-1419), fondateur de l'ordre Gelukpa, au cours d'une vision qui devait faire de lui le premier maître humain de cette lignée.
D'une manière générale, les instructions de Tilopa divisent la pratique en trois parties principales : le Grand Symbole de la Base (gzhi phyag rgya chen po), celui de la Voie (lam gyi phyag rgya chen po) et celui du Fruit ('bras bu phyag rgya chen po). Le premier renvoie à la conscience “ordinaire” (tha mal gyi shes pa), naturelle et libre des filets discursifs tressés par l'intellect. Il qualifie ainsi un état qui n'est rien de particulier, mais qui, sous l'effet de circonstances particulières, peut devenir toute chose : il se présente ainsi comme au-delà des deux vérités (absolue et conventionnelle) et de toute limitation. Libre d'égarement, il s'exprime en réalité comme un vide parfait qui se concrétise ou s'expérimente véritablement lorsque l'esprit accède à l'égalité foncière de sa vraie nature.
Le Grand Symbole de la Voie prend évidemment appui sur cette expérience initiale de l'essence véritable de l'esprit et l'approfondit en intensifiant la reconnaissance de l'illusion produite par les saisies discursives. La croyance en un soi existant par lui-même, ainsi que l'identification à la conscience mentale, au flot continuel du discours intérieur, etc., sont balayées et reconnues comme des illusions oniriques dont elles illustrent d'ailleurs le caractère de manifestations illusoires. Lorsque cette expérience s'enracine dans le continuum de l'adepte, celui-ci peut concrétiser l'état du Grand Symbole dans sa double expérience du caractère illusoire des phénomènes et de leur vacuité foncière.
Le Grand Symbole du Fruit peut alors être atteint dans l'expérience indicible de cet état de vide (stong pa) qu'augmente la nouvelle expérience de la clarté (gsal ba). En fait, ce fruit transcende les expériences antérieures de Joies (dga' ba) qui pouvaient caractériser la pratique tantrique (avec partenaire par exemple) ou celle de la Claire-Lumière.
Toutes ces expériences sont scellées par la Vacuité et la compassion qui permettent de cultiver conjointement “l'éclat de la réalisation” (rtogs pa'i gdangs), c’est-à-dire la contemplation directe de la nature de l'esprit, et l'altruisme, autrement dit, la pratique spirituelle dédiée au bien d'autrui. Cette triple division du Grand Symbole a été largement développée dans les œuvres de Gampopa Sönam Gyeltsen (1079-1153) qui définit le premier comme la Réalité elle-même, dans toute sa pureté ; le second, comme la mise en pratique de la Sagesse née simultanément (lhan cig skyes pa'i ye shes, expression d'où dérive très certainement le nom du système dit du Phyag chen lhan cig skyes sbyor) ; et le troisième, comme l'indifférenciation ou l'union du vide et de la nature de l'esprit. Dans cette triple optique, le Grand Symbole n'est pas seulement un but à atteindre mais plutôt l'ensemble d'un processus libérateur qui comprend : 1. une théorie fondamentale néanmoins basée sur l'expérience directe (la conscience ordinaire, tha mal gyi shes pa), 2. des procédés de libération, c’est-à-dire des techniques yogiques spécifiques (Phase de Développement et de Perfection, Calme mental et Vision Supérieure, Six Yogas de Nâropa, etc.) et 3. le Fruit lui-même, c’est-à-dire l'Eveil définitif d'un Buddha.
Les procédés techniques employés pour la pratique varient d'une école à l'autre et même, au sein d'une même branche, les variations peuvent être plus que sensibles. Dans la tradition de Milarepa (1040-1123) par exemple (c’est-à-dire dans l'expression du Grand Symbole donnée par Milarepa), l'expérience directe de la Mahâmudrâ s'appuie sur les pratiques dites de la Furie (gtum mo) et du corps illusoire (sgyu lus), deux piliers des six yogas de Nâropa. Dans la même école, la branche initiée par Gampopa fonde sa pratique sur l'entraînement graduel de l'esprit (blo sbyong), puis la Voie des Méthodes Salvifiques (thabs lam), combinant ainsi les niveaux des sûtra et des tantras. Dans le “Grand Symbole Quintuple” (Phyag chen lnga ldan), qu'il faut attribuer, non à Jigten Sumgön (1143-1217) comme on le croit généralement, mais à Phagmo Drupa (1110-1170), la pratique fondamentale comprend cinq étapes :
1. en premier lieu, l'adepte prend refuge et développe l'Esprit d'Eveil pour le bien de tous les êtres animés ;
2. ensuite, il s'engage dans la pratique des Phase de Développement et de Perfection en prenant pour divinité tutélaire Vajravârahi ;
3. il procède au Guru-yoga en visualisant son maître au sommet de sa tête ou dans son cœur, afin de recevoir de lui les bénédictions et transmissions spirituelles qui sublimeront son continuum ;
4. il procède ensuite à l'union du calme mental (zhi gnas) et de la vision supérieure (lhag mthong), union qui forme en fait la pratique principale de cette tradition et finalement,
5. il scelle sa pratique par la récitation des formules votives et des prières de souhaits finales.
Cet ensemble se présente lui aussi comme un tout regroupant les principales techniques des sûtra et des tantras.
[à suivre dans les Principes Généraux du Grand Symbole, Khyung-mkhar, 2012, éd. pdf.]
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