Les retraites dans l'obscurité (mun mtshams) sont parmi les pratiques les plus secrètes du bouddhisme tantrique. On les rencontre dans la plupart des écoles tibétaines, avec une prépondérance peut-être plus forte chez les adeptes du Kâlacakratantra et plus encore chez les Nyingmapas et les Bönpos. Dans ces deux dernières écoles, ces retraites dans l'obscurité sont intimement associées au système de la Grande Perfection (rDzogs chen) et durent en général quarante-neuf jours, comme les quarante-neuf jours de l'état post-mortem (bar do).
Dans le Kâlacakratantra, ce type de retraites est intégré à la pratique du “yoga de la nuit” (mtshan mo'i rnal 'byor), l'un des deux yogas principaux (l'autre état le yoga du jour, nyin mo'i rnal 'byor) qui articulent la pratique principale (dngos gzhi) de ce tantra. Les retraites dans l'obscurité sont conduites dans une cellule totalement imperméable à la lumière et, dans ce but, les côtés extérieurs et intérieurs des murs de la pièce sont soigneusement enduits avec de l'argile pour combler tout interstice susceptible de laisser entrer la moindre lumière.
La pratique yogique exécutée dans cette retraite est des plus simples. L’adepte s’installe dans la posture adamantine en joignant les mains au niveau du nombril. Selon les diverses traditions internes du Kâlacakra, le yogi doit diriger le regard vers le haut, comme s’il contemplait le ciel au-dessus de lui ou bien se concentrer entre les sourcils, la direction des yeux jouant dans cette optique un simple rôle de soutien de la concentration. Dans les deux cas, l’exercice est pratiqué pour faire pénétrer les souffles internes du corps à l’intérieur du canal central (rtsa dbu ma). Il est poursuivit avec zèle jusqu’à l’apparition de signes exprimés au travers d’expériences visionnaires parfaitement définies, comme des visions de fumées, de mirages, de lucioles, d’éclairs, de brumes sombres, etc.
Ces signes indiquent l’entrée effective des souffles à l’intérieur du canal central. Lorsque la pratique est arrivée à ce niveau, l’adepte visualise alors une petite sphère noire positionnée dans le canal central, au niveau de l’espace intersourcillier, dans laquelle il imaginera la divinité Kâlacakra en union avec son Epouse, paré de tous les atours du Corps de Jouissance (longs spyod sku).
Dans le cycle du Kâlacakratantra, les retraites dans l’obscurité se déroulent lors de la pratique de la Phase de Perfection (rdzogs rim) dont elles forment la première étape. Le fruit de ces retraites est cultivé tout au long des diverses sections de cette Phase de Perfection, incluant en cela le déclenchement de la Furie (gtum mo) qui permet l’épuisement des souffles karmiques circulant dans le corps. Lorsque la Phase de Perfection aura été intégralement parachevée, la dissolution des composants matériels du corps s’opérera naturellement. Ce dernier point est l’élément principal qui distingue le Kâlacakra des autres cycles tantriques tels que le Guhyasamâjatantra ou le Hevajratantra dans lesquels la pratique culmine avec la réalisation du corps illusoire pur (dag pa’i sgyu lus) de la divinité concernée par ces cycles. Cette dissolution du corps est associée au passage des terres de l’Eveil (sa) qui sont ici au nombre de douze.
Référence:
“Les Retraites dans l’obscurité”,
in Jean Servier (éd.), Dictionnaire critique de l’Esotérisme, Puf, 1998,
p. 1100-1102.
Voir la parution du reste de l'article nouvellement annoté ici :
http://khyungmkhar.blogspot.fr/2012/08/les-retraites-dans-lobscurite-mun.html
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