mardi 27 mars 2012

Les états intermédiaires (bar do)


Présentation 

Le terme bardo (bar do) signifie état intermédiaire entre deux moments ou événements, l'acception la plus répandue étant celle d’état intermédiaire post-mortem. Cette définition cependant très réductrice ne rend pas véritablement compte de ce que le, ou plus précisément, les bardos représentent dans la  tradition bouddhique.

Cette dernière reconnaît un nombre variable de bardos "principaux", énumérés dans des listes considérées comme classiques pour chaque école. Le schéma à six bardos (bar do drug) s'est souvent imposé et comprend :
1. le bardo du sanctuaire de naissance (skye gnas kyi bar do) ; 2. le bardo du recueillement (ting 'dzin gyi bar do); 3. le bardo du rêve (rmi lam gyi bar do), 4. le bardo du moment de la mort (‘chi ka’i bar do) ; 5. le bardo de la Réalité (chos nyid kyi bar do) et 6. le bardo du devenir (srid pa’i bar do).

Bien souvent les traducteurs ne comprennent pas la signification du premier bardo. Il convient d'en rendre le sens de manière littérale, car une telle approche convient particulièrement bien à la clarification de sa signification véritable. Ainsi, l'expression "sanctuaire (gnas) de naissance (skye)” fait explicitement référence à la destinée (rigs, ici le sanctuaire ou destinée telle que celle des dieux, des demi-dieux, etc.) en laquelle on a repris naissance pour la présente existence. Les caractéristiques propres à cette naissance varient en fonction des quatre modes de naissances (miraculeuse, de l'humidité, d'un œuf ou de la matrice). Il importe donc que les notions de sanctuaire (gnas = ici destinée [rigs]) et de naissance (skye) soient véhiculée dans le rendu en français, faute de quoi la traduction ne sera pas précise ni pertinente ou en résonance harmonieuse avec l'explication traditionnelle qui est donnée de ce bardo.

Les bardos du recueillement et du rêve sont inclus dans le premier bardo. Il faut également noter que la tradition Bönpo décrit un bardo de plus, qui n'est pas considéré comme tel dans les autres écoles, à savoir le bardo du Corps Absolu primordialement pur (ka dag bon sku'i bar do) qui fait immédiatement suite à la déconnexion du corps et de l'esprit. Pour les tenants des autres écoles, il s'agit d'un état sans conscience et sans clarté. Or pour les Dzogchenpas se réclamant du Bön, ce bardo est précisément l'état du Corps Absolu de la conscience et n'est pas un néant obscur sans aucune clarté. Il correspond à l'expérience directe de l'état naturel avant l'émergence du souffle (rlung) et du dynamisme (rtsal) qui sont la source de l'avènement des manifestations de la Base (gzhi snang) de cet état naturel.

Dans le reste de l'article mentionné infra, je décris le processus de mort, avec la dissolution des éléments, ainsi que les deux bardos post-mortem correspondant aux numéros 5 et 6 de la liste donnée ci-dessus.

Le cycle d'enseignement le plus important, à la fois historiquement et doctrinalement (totalement imprégné de conceptions dzogchen, qui sont étrangères à la plupart des traditions Sarmapas), est le Karling Zhitro découvert au XIVè siècle par Karma Lingpa. La popularité de ce cycle, bien connu en Occident sous le titre de Livre des morts tibétain, s'est avérée telle que son texte a été, avec plus ou moins de remaniements, acceptés par les autres écoles, comme une vulgate complète des préceptes sur les états intermédiaires. Ce phénomène tient probablement à la systématisation des enseignements sur les différents bardos que contient ce cycle et dont une très brève partie seulement est accessible en langues occidentales. Le reste de la collection comprend un grand nombre d’instructions Dzogchen qui montre bien les rapports évidents entre les conceptions visionnaires du système de la Grande Perfection et les visions apparaissant à la conscience décédée.

Référence

“Les Etats intermédiaires”, in Jean Servier (éd.), Dictionnaire critique de l’Esotérisme, Puf, 1998, p. 493-496.
  
  

dimanche 25 mars 2012

L'extraction des Essences (bcud len)

Présentation
La pratique dite de l'extraction des essences ou élixirs (bcud len, pr. Chülen) joue un rôle considérable dans divers cycles et traditions du Bouddhisme Tibétain. Elle est notamment d'une importance plus qu'évidente dans le système de la Grande Perfection (rDzogs chen), ainsi que le montrent la vie et les instructions de plusieurs patriarches de ce système qui sont parvenus au Corps d'Arc-en-ciel ('ja' lus) en combinant cette pratique avec le reste des instructions dzogchen elles-mêmes.

Dans le Dra Thelgyur (sGra thal 'gyur), l'un des plus importants Tantras de la tradition Nyingmapa, le Buddha Vajradhara énumère une liste de sept méthodes consistant dans l'extraction de l'essence: 1. de pierres précieuses, 2. de minéraux réduits en poudre, 3. de légumes, 4. de jus de fruits, 5. de viande, 6. de l'air, et 7. des éléments (eau, feu, etc.). Chacune de ces extractions a un objectif particulier, celui de la première méthode étant par exemple d'atteindre une longévité égale à celle du soleil et de la lune.

La dernière de ces techniques doit permettre à l'adepte de se nourrir des manifestations extérieurs de ces éléments... [C']est très certainement la plus difficile, mais elle contient en elle-même tout le propos de l'extraction des essences. Celui-ci est, entre autre, de se débarasser de l'attachement à la nourriture (zas zhen) et cela veut donc dire interrompre toute consommation de nourriture solide (...).

Si elle a également un objectif rédempteur évident, celui de transformer la matérialité du corps en la purifiant par une diète particulière fondée sur l'une ou l'autre de ces méthodes, la pratique de Chülen présente également un grand intérêt pour les retraitants ou les ermites qui vivent dans la solitude la plus complète, isolés de tout contact avec autrui. Leur dépendance face à la nourriture peut ainsi être levée grâce à ce type de yoga, qui doit être accompli de manière très graduelle, en passant par un type de Chülen dit du Nirmanakaya, avec une nourriture solide très sommaire (un khanda), avant d'aborder le Chülen du Sambhogakaya dans lequel, selon les textes un khanda très dilué est consommé ou bien simplement de l'eau, pour finir par le Chülen du Dharmakaya dans lequel l'adepte "consomme” la substance ciel par la respiration. 

Tous les textes ne concordent pas sur le contenu de la diète en fonction de ces trois formes génériques de Chülen, mais dans la plupart des cas, la consommation de pilules à base de mercure est au programme.

Les adeptes de cette pratique l'accomplissent également dans le cadre de maladies particulières, ou bien en combinaison avec des sadhanas de longue vie (tshe sgrub), ou encore dans des pratiques spéciales qui déclenchent sur sorte de transmutation des constituants matériels du corps et qui aboutissent finalement à la résorption de ce dernier en lumière (...).

La consommation des pilules ne doit théoriquement se faire qu'au cours de retraites spirituelles particulièrement strictes, qui ne devront pas durer moins de trois semaines. En règle générale, l'adepte les prend selon une posologie variable, deux ou trois fois par jour. 

Dans le reste de l'article mentionné infra sous Référence, je décris les conditions indispensables à la production de ces pilules, leur fabrications, ainsi que les pratiques tantriques associées (à la production, à la consécration et à la consommation de ces pilules). Un texte très court, extrait de la tradition dite de la Section de l'Espace Abyssal (klong sde) du Dzogchen est également donné à titre d'exemple d'une pratique très singulière au sein des techniques de Chülen, consistant dans l'inhalation de fumées provenant de la combustion de substances spéciales, qui permettent de générer une expérience directe de la Claire-Lumière ('od gsal).


Référence

“L’extraction des Essences”, 
in Jean Servier (éd.), Dictionnaire critique de l’Esotérisme, Puf, 1998
, p. 491-493.

mardi 20 mars 2012

L'Eradication de l'ego


Présentation
Pour les adeptes de la tradition bouddhique, les enseignements de Chö (gCod) reposent sur les préceptes enseignés le maître indien Pha Dampa Sangye et  popularisés par Machig Labkyi Drönma (1055-1145). En réalité, il semblerait que Pha Dampa Sangye ait reçu ces enseignements de son ami et maître Bönpo Trotsang Druklha (Khro tshangs 'brug lha, 956-1077); le Chö aurait donc une origine Bönpo évidente.

Dans l'article mentionné sous Référence ci-dessous, je présente les grandes lignes historiques qui se rapportent à la pratique de Chö, en précisant que cette tradition s'est finalement intégrée à chacune des écoles du Bouddhisme tibétain. Il existe ainsi des traditions de Chö chez les Gelukpas, les Kagyüpas, les Sakyapas, les Nyingmapas et, également, chez les Bönpos. Chacune de ces écoles a repris à son compte ces pratiques de Chö en y intégrant les conceptions doctrinales centrales qui les caractérisent (comme la Mahamudra pour les Kagyüpas, le Dzogchen pour les Nyingmapas et les Bönpos, etc.).

Le principe du don du corps (lus sbyin) qui se trouve au cœur des visualisations du Chö consiste à transcender les peurs et les attachements en les éradiquant de manière plus que radicale. En fait, l'expression “don (sbyin) du corps (lus)” est devenue l'un des synonymes directs renvoyant à la pratique de Chö elle-même. L'objet (yul) de cette éradication est la saisie d'un soi (bdag), erronément conçu comme existant de manière inhérente.

Deux étapes complémentaires structurent cette a pratique : en vertu de la première, l'adepte considère les hôtes courroucés et sanguinaires invités à se repaître de son corps comme des entités existant indépendamment, c’est-à-dire comme réelles et extérieures à lui ; puis, dans un second temps, il reconnaît que toutes ces formes démoniaques sont issues de son esprit et il peut donc les transcender dans l'expérience directe de la vraie nature de son esprit, c’est-à-dire la Vacuité (stong pa nyid).

Les enseignements de Chö sont pratiqués dans des lieux inspirant effroi et terreurs archétypales (comme des charniers, etc.), et sont même dans certains cas exécutés directement sur un véritable cadavre pourrissant. 

Dans le reste de l'article, je décris la structure d'un rituel de Chö générique, avec ses diverses sections, comme le “Festin blanc” (dkar 'gyed),  le “Festin rouge” (dmar 'gyed), le “Festin diapré” (khra 'gyed), et finalement le “Festin Noir” (nag 'gyed) qui est parfois omis dans certains rituels.

Les rituels de Chö ont été erronément associés à des pratiques chamaniques dans la mesure où ils font appel aux divinités autochtones du Tibet ancien que l'on a rangé abusivement dans le panthéon Bönpo, la religion Bön ayant été, tout aussi abusivement, qualifiée de chamanique. Foncièrement, et sans vouloir en démystifier les pratiques, les enseignements de Chö rentrent parfaitement dans le cadre des rituels d'offrandes et relèvent de la Voie tantrique en général. Leurs aspects macabres et “secrets” les placent sur le plan des tantras supérieurs même s'ils dépendent en fait doctrinalement de la voie des Sûtras, et comme on l'a dit, de la Prajñâpâramitâ mais aussi de l'Abhidharmakosha (V, 34). 

Référence


— “L’Eradication de l’ego”, 
in Jean Servier (éd.), Dictionnaire critique de l’Esotérisme, Puf, 1998, 
p. 477-479.

lundi 19 mars 2012

L'entrée dans le cadavre (grong 'jug)






Présentation
Les instructions qui décrivent le processus d’entrée de la conscience dans un corps (c’est-à-dire un cadavre) appartiennent selon certains à ce que l'on désigne comme les “Formules Furieuses” (drags sngags), c’est-à-dire à des techniques méditatives et rituelles très particulières et relevant de pratiques courroucées. 

Selon les textes Kagyüpa, la pratique de Drongjuk (grong 'jug) ou Entrée dans le cadavre a été introduite au Tibet par Marpa Chökyi Lodrö (1012-1096), traducteur célèbre qui s'est présenté à la postérité comme un disciple de Naropa (Davidson a depuis démontré que ce n'était pas le cas). Son fils, Dodepa, mort prématurément, aurait été le seul récipiendaire des instructions secrètes du Drongjuk, mais n'aurait pu les transmettre avant son décès inopiné.

L'histoire présentant ainsi la disparition "définitive" de la pratique du Drongjuk est peut-être une affabulation. Elle ne cadre en tout cas pas avec la survivance de cette pratique dans les traditions Bönpos, Nyingmapas et même Kagyüpa. Affirmer cette disparition est donc une vue de l'esprit, pas une réalité.

Il y a deux modalités fondamentales à la pratique de l'Entrée dans le cadavre: la première, dite commune, s'adresse aux yogis de capacités ordinaires, encore loin de l'atteinte du fruit.  La seconde, qualifiée de suprême, s'appuie entièrement sur les recueillements méditatifs auxquels l'adepte accède grâce aux Phase de Développement et de Perfection. Elle n'exige paradoxalement pas de cadavre car c'est le corps de l'adepte qui va être revitalisé et "transmuté" grâce aux arcanes de la Phase de Perfection.

L'adepte exécute ainsi sur lui-même un rite méditatif destiné à le transfigurer en sa divinité tutélaire et dans ce cas, l’Entrée dans le Cadavre diffère assez peu des instructions sur le Transfert de conscience (‘pho ba), raison probable qui lui a valu d’être transmise parfois simultanément avec la pratique du Transfert. 

Référence
—“L’Entrée dans le cadavre”, in Jean Servier (éd.), Dictionnaire critique de l’Esotérisme, Puf, 1998,  p. 475-476.

Référence complémentaire
Voir l'excellente entrée sur ce même thème dans le blog de Dan Martin, que l'on peut lire en cliquant sur le lien suivant :


http://tibeto-logic.blogspot.fr/2007/04/emergency-death-meditation-known-as.html

jeudi 15 mars 2012

Les Divinités Paisibles et Courroucées (zhi khro)


Présentation

Le panthéon bouddhique tantrique est entièrement constitué de déités paisibles (zhi ba) et courrocuées (khro bo). L'article mentionné infra sous "Référence", qui décrit les principes s'appliquant à ces divinités, traite dans un premier temps des généralités quant à la nature de ces déités et leur émergence au cours de visualisations (dans les Tantras) et de visions (dans le Dzogchen), deux contextes totalement différents dans leurs optiques yogiques.

Le cycle le plus célèbre qui traite de ces déités paisibles et courroucées est un terma de Karma Lingpa, qui vécut au 14e siècle. Il est connu sous son titre complet comme Le Profond Enseignement dit de la Liberté Naturelle de la Contemplation des Paisibles et des Courrocuées (Zab chos zhi khro dgongs pa rang grol), et est largement employé par les Nyingmapas et les Kagyüpas, même si des lignées de transmission de ce cycle se retrouvent dans les autres écoles (telles que les Sakyas et les Geluks).

Le reste de l'article est consacré à la description de la pratique des Zhitro, et en particulier les Phase de Développement (bskyed rim) et de Perfection (rdzogs rim) qui caractérisent leur pratique principale (dngos gzhi).

Le rôle de ces déités lors des retraites dans l'obscurité (mun mtshams) telles qu'elles sont pratiquées dans la tradition Dzogchen, est également abordé et sommairement décrit.


Référence
— “Les Divinités Paisibles et Courroucées”, in Jean Servier (éd.), Dictionnaire critique de l’Esotérisme, Puf, 1998, , p. 434-435.



samedi 10 mars 2012

Les classifications des Tantras


Présentation
Dans l'article mentionné infra sous "Référence", je présente les classifications des Tantras selon les différentes écoles tibétaines. Si l'on fait abstraction du Bön (qui est quand même traité dans cet article), il existe deux classifications différentes : 
  • celle des Sarmapas, avec six véhicules et quatre classes de Tantras, et
  • celle des Nyingmapas, avec neuf véhicules et six classes de Tantras.

Chez les Sarmapas, les quatre classes de Tantras sont énumérées comme suit :
  • les Kriyâtantras (bya rgyud) ou Tantras de l'action,
  • les Caryâtantra (spyod rgyud) ou Tantras de la conduite rituelle,
  • les Yogatantra (rnal 'byor rgyud) ou Tantras de la pratique yogique, et
  • les Anuttarayogatantra (rnal 'byor bla med rgyud) ou Tantras du yoga insurpassable.

Dans les Tantras supérieurs (Anuttarayoga), l'accent est mis sur la pratique des Deux Phases (rim gnyis), i.e., la Phase de Développement (bskyed rim) et la Phase de Perfection (rdzogs rim). Grâce à la pratique de ces phases, l'adepte est à même de parvenir à l'Eveil beaucoup plus rapidement qu'avec les voies présentées dans les trois autres classes de Tantras.

"Ce dernier aspect est l'un des points essentiels sur lequel Tsongkhapa (1357-1419), autorité indiscutée de la tradition Gelukpa, insiste dans sa Grande Gradation des Formules (sNgags rim chen mo). Dans cet ouvrage monumental, il rejette l'affirmation de certains maîtres tibétains, qui l'ont précédé ou qui furent ses contemporains, voulant que la classification quadruple des Tantras réponde au besoin de conversion des quatre types d'hérétiques (mu stegs pa) reconnus en Inde (à l’époque du Buddha et de la mise en forme des premiers corpus tantriques). Pour lui, la question se pose différemment : ces Tantras s'adressent à des adeptes déjà convertis et, théoriquement, instruits dans les Sûtras et les autres branches de la connaissance bouddhique (discipline monastique, cosmologie, etc.). Les divers véhicules tantriques qui s'offrent à eux couvrent en fait les affinités naturelles qu'ils ont, leurs facultés et défauts, le passage d'un niveau à l'autre se faisant d'une manière graduelle."

Les Tantras de l'Action sont essentiellement centrés sur deux yogas : 1. le yoga avec caractéristiques (mtshan bcas kyi rnal 'byor), et 2. le yoga sans caractéristiques (mtshan med kyi rnal 'byor).

Les Tantras de la Conduite s'appuient sur des rituels extérieurs associés à une pratique intérieure centrée sur des recueillements méditatifs (ting nge 'dzin), et également focalisée autour des yogas avec et sans caractéristiques.

Les Yogatantras sont davantage centrés sur les pratiques méditatives et visualisatoires, avec l'application de principes tels que celui de la "visualisation de la déité devant soi" (mdun bskyed) ou la "visualisation de soi-même [comme la déité]" (bdag bskyed), etc.

Les Anuttarayogatantras sont répartis en deux grandes catégories : les Tantras-Pères (pha rgyud) qui mettent l'accent sur les Méthodes Salvifiques (thabs) et les Tantras-Mères (ma rgyud) qui insistent sur la Connaissance Sublimée (shes rab). 

"Certaines traditions y ajoutent la classe des Tantras Non-duels (gnyis med rgyud), dans laquelle Méthodes Salvifiques et Connaissance Sublimée sont présentées dans leur union non-duelle. Le Tantra principal de cette dernière catégorie est le célèbre Kâlacakratantra qui est considéré comme un Tantra Non-duel par la plupart des écoles réformées, à l'exception notable des Gelukpas qui le classent parmi les Tantras-Mères, étant donné l'accent mis sur la Vacuité dans ce Tantra. L'école fondée par Tsongkhapa préfère en outre présenter les Anuttaratantras en fonction du yoga du corps illusoire (sgyu lus), correspondant aux Tantras exposant les Méthodes Salvifiques et du yoga de la Claire-Lumière ('od gsal), renvoyant à la pratique de la Connaissance Sublimée. Les textes exégétiques de cette école disent ainsi que le système le plus représentatif consacré à l'exposé du yoga du corps illusoire est le Guhyasamâjatantra ; le Cakrasamvaratantra est le texte-racine qui expose principalement les techniques du yoga de la Claire-Lumière, tandis que le Yamantâkatantra traite des deux yogas, de manière équilibrée. A ces trois textes, les Gelukpas adjoignent le Kâlacakratantra qu'ils classent à part, étant donné les spécificités dont il jouit."

*

Chez les Nyingmapas, la classification des Tantras supérieurs est très différente puisque leur présentation du cursus tantrique s'organise en fonction de trois Véhicules situé au sommet de leur édifice doxographique, à savoir :
  • le Mahâyoga qui met l'accent sur la Phase de Développement,
  • l'Anuyoga qui met l'accent sur la Phase de Perfection, et
  • l'Atiyoga dont la pratique se situe au-delà des deux Phases.

La quasi-totalié des textes Nyingmas appartenant à ces trois véhicules a été rejetée du canon officiel mais figure dans le Nyingmai Gyübum (rNying ma'i rgyud 'bum), la Collection des Tantras Anciens.

L'Atiyoga est un système particulier que l'on ne rencontre pas dans les traditions Sarmapas et leurs divers systèmes. Il se détache de tous les autres véhicules, “y compris du Mahâyoga et de l'Anuyoga, dans la mesure où il ne presente que très peu d'éléments philosophiques et pratiques communs avec eux. Son vocabulaire très particulier l'en distingue encore davantage et le positionne hors des appréciations et des caractéristiques des autres véhicules tantriques. A ce titre, il constitue, non un véhicule de transformation (bsgyur ba), comme les Tantras Supérieurs, mais représente ce que les textes désignent traditionnel-lement comme la Voie de la Liberté naturelle (rang  grol gyi lam)." 

*

Dans le Bön, les Tantras sont répartis de manière spécifique en fonction de trois classifications, chacune d'entre elles correspondant à un moment de prédication du Buddha Tönpa Shenrab. On trouve ainsi :
  • les Quatre Porches et le Trésor Cinquième (sgo bzhi mdzod lnga),
  • les Neuf Véhicules (theg pa rim dgu) présentés dans trois classifications différentes, et
  • les Trois Révélations (bstan pa gsum).

Dans tous les cas, le Dzogchen figure au sommet de l'édifice doxographique du Bön et exprime la quintessence de tous les enseignements du Buddha lui-même.

Référence
— “La classification des Tantra”, in Jean Servier (éd.), Dictionnaire critique de l’Esotérisme, Puf, 1998, p. 1256-1259.

vendredi 9 mars 2012

La Phase de Développement (bskyed rim)

Présentation 
La Phase de Développement (bskyed rim) est l'une des deux Phases (rim gnyis) de la pratique tantrique. Elle s'appuie sur la visualisation d'une ou de plusieurs déités avec leur mandala, avec pour objectif de transformer la vision ordinaire de l'adepte en une vision pure des phénomènes et de toute chose. 
     Dans cette optique, l'adepte s'exerce à diverses techniques qui varient en fonction des cycles pratiqués et des écoles. Dans l'article concerné (cf. les références infra), la pratique est présentée en fonction de ce que l'on désigne comme les trois Recueillements ou samadhis (ting nge 'dzin gsum), à savoir :

  1. le Recueillement de l'Ainsité (de bzhin nyid kyi ting nge 'dzin) qui correspond à l'expérience initiale indispensable de l'état naturel, au sein de laquelle l'adepte va accomplir l'intégralité de sa pratique;
  2. le Recueillement omni-illuminateur (kun tu snang ba'i ting nge 'dzin) qui consiste dans la version tantrique du déploiement des Quatre Illimités;
  3. le Recueillement causal (rgyu yi ting nge 'dzin) qui constitue le début proprement dit de la Phase de Développement, avec la visualisation de la syllabe-germe de la déité à partir de laquelle l'ensemble de sa forme et de son mandala vont être générés.

Les autres étapes de la pratique de cette Phase concernent ce que l'on désigne comme l'approche récitative (bsnyen pa) et l'accomplissement pratique lui-même (sgrub pa).


Référence
“La Phase de Développement”, in Jean Servier (éd.), Dictionnaire critique de l’Esotérisme, Puf, 1998, p. 399-401.


jeudi 8 mars 2012

Les Quatre Consécrations (dbang bzhi)

Présentation
Dans la tradition de la Grande Perfection, les Consécrations ou rituels d'initiation (dbang chog) relèvent des enseignements servant à sublimer (smin pa) le continuum des adeptes afin de les rendre aptes à pratiquer les préceptes (man ngag) qui vont les libérer (grol ba).

Dans l'article intitulé “Les Quatre Consécrations”, j'aborde la description de ces rituels en fonction de leur présentation dans les Essences Perlées (snying thig). Les consécrations dont il est question sont :
  • la Consécration de l'Aiguière (bum dbang),
  • la Consécration de l'Arcane (gsang dbang),
  • la Consécration à la Sagesse de la Connaissance (shes rab ye shes kyi dbang), et 
  • la Consécration Verbale (tshig dbang).
Il existe évidemment des différences subtiles d'un cycle à l'autre dans la présentation de ces Consécrations, mais elles culminent toutes dans la Consécration Verbale qui révèle la confrontation à la nature de l'esprit (sems kyi ngo sprod). Cette confrontation est indispensable à l'entrée dans la pratique principale (dngos gzhi) du Dzogchen, exprimée en fonction de l'Eradication de la Rigidité (khregs chod) et du Franchissement du Pic (thod rgal).

Référence
— “Les quatre Consécrations”, in Jean Servier (éd.), Dictionnaire critique de l’Esotérisme, Puf, 1998, p. 333-335.

Les Testaments de Vajradhara et des Porteurs-de-Science

Présentation
Le genre littéraire des Testaments (zhal chems, 'das rjes) joue un rôle important dans la tradition Dzogchen, en particulier dans la littérature des Essences Perlées (snying thig). Dans ce volume intitulé Les Testaments de Vajradhara et des Porteurs-de-Science, je présente la traduction des textes essentiels de ce type, à commencer par les Trois Testaments du Buddha Vajradhara (Sangs rgyas kyi 'das rjes gsum) déclinés en deux versions, l'une tirée du Bima Nyingthik et l'autre du Khandro Nyingthik.

Le groupe des Testaments des Porteurs-de-Science (rig 'dzin) figure également au sommaire de ce volume, comprenant ainsi les Testaments de :
  •  Garab Dorje, le fondateur de la tradition Dzogchen bouddhique,
  • Mañjuśrīmitra, auquel est attribuée la division des textes Dzogchen en fonction des trois Sections (sde gsum),
  • Śrī Siṃha, auquel est attribué la division de la Section des Préceptes en quatre parties, et
  • Jñānasūtra.
Le volume contient également la traduction complète d'un traité d'instructions (khrid yig) attribué à Garab Dorje et tiré du corpus du Khandro Nyingthik, commentant les Testaments de Vajradhara. La dernière partie de l'ouvrage est consacrée à la traduction du Docte et Glorieux Roi (mKhas pa shri'i rgyal po), l'un des textes  phares de Peltrül Rinpoche, et à son auto-commentaire (rang 'grel).


Table des Matières 

INTRODUCTION

La Tradition de Vimalamitra
I. La Transmission de la Contemplation des Vainqueurs
   Samantabhadra
   Les Eveillés des Cinq Clans
   Les Corps d'Apparition

II. La Transmission Symbolique des Vidyadharas
   dGa' rab rdo rje
   Mañjushrimitra
   Shri Simha
   Jnanasutra & Vimalamitra

III. La Transmission Orales aux Etres
   Vimalamitra & Nyang Ting-'dzin bzang-po
   lDang-ma lhun-rgyal & lCe-btsun Seng-ge dbang-phyug
   Zhang-ston bKra-shis rdo-rje (1097-1167)
   Nyi-ma 'bum (1158-1213)
   Chos-bdag Gu-ru jo-'ber (1195-1255)
   'Khrul-zhig Seng-ge rgyab (13e s.)
   Me-long rdo-rje (1243-1303)
   Kumarâja (1266-1343)
   Klong-chen-pa, Dri-med 'od-zer (1308-1364)

La nature des préceptes du rDzogs chen
   1. Arrière-plan philosophique
   2. La pratique

Présentation des textes
   Les Testaments de Vajradhara
   Les Instructions sur le sens des Tantras qui libèrent par le port
   Les Testaments de Vidyadharas 
   Le Docte et Glorieux Roi

TRADUCTIONS

I. Les Testaments de Vajradhara
   Premier Testament du Buddha Vajradhara (I)
   Second Testament du Buddha Vajradhara (I)
   Troisième Testament du Buddha Vajradhara (I)
   Premier Testament du Buddha Vajradhara (II)
   Second Testament du Buddha Vajradhara (II)
   Troisième Testament du Buddha Vajradhara (II)

II. Instructions sur le Sens des Tantras qui Libèrent par le Port (par Garab Dorje)

III. Les Testaments des Vidyadharas
   Le Testament de dGa' rab rdo rje — Frapper l'essence en trois Stances
   Les Six Expériences Méditatives de Mañjushrimitra
   Les Sept Clous de Shri Simha
   Les Quatre Méthodes d'Accès de Jñanasutra

IV. Commentaire aux Enseignements Spéciaux du Docte et Glorieux Roi

GLOSSAIRE
BIBLIOGRAPHIE

Référence 
Les Testaments de Vajradhara et des Porteurs-de-Science, Paris, Les Deux Océans, 1995, 151 pages. Premère édition : ISBN 2-86681-061-9.