Présentation
Le terme bardo (bar do) signifie état intermédiaire entre deux moments ou événements, l'acception la plus répandue étant celle d’état intermédiaire post-mortem. Cette définition cependant très réductrice ne rend pas véritablement compte de ce que le, ou plus précisément, les bardos représentent dans la tradition bouddhique.
Cette dernière reconnaît un nombre variable de bardos "principaux", énumérés dans des listes considérées comme classiques pour chaque école. Le schéma à six bardos (bar do drug) s'est souvent imposé et comprend :
1. le bardo du sanctuaire de naissance (skye gnas kyi bar do) ; 2. le bardo du recueillement (ting 'dzin gyi bar do); 3. le bardo du rêve (rmi lam gyi bar do), 4. le bardo du moment de la mort (‘chi ka’i bar do) ; 5. le bardo de la Réalité (chos nyid kyi bar do) et 6. le bardo du devenir (srid pa’i bar do).
Bien souvent les traducteurs ne comprennent pas la signification du premier bardo. Il convient d'en rendre le sens de manière littérale, car une telle approche convient particulièrement bien à la clarification de sa signification véritable. Ainsi, l'expression "sanctuaire (gnas) de naissance (skye)” fait explicitement référence à la destinée (rigs, ici le sanctuaire ou destinée telle que celle des dieux, des demi-dieux, etc.) en laquelle on a repris naissance pour la présente existence. Les caractéristiques propres à cette naissance varient en fonction des quatre modes de naissances (miraculeuse, de l'humidité, d'un œuf ou de la matrice). Il importe donc que les notions de sanctuaire (gnas = ici destinée [rigs]) et de naissance (skye) soient véhiculée dans le rendu en français, faute de quoi la traduction ne sera pas précise ni pertinente ou en résonance harmonieuse avec l'explication traditionnelle qui est donnée de ce bardo.
Les bardos du recueillement et du rêve sont inclus dans le premier bardo. Il faut également noter que la tradition Bönpo décrit un bardo de plus, qui n'est pas considéré comme tel dans les autres écoles, à savoir le bardo du Corps Absolu primordialement pur (ka dag bon sku'i bar do) qui fait immédiatement suite à la déconnexion du corps et de l'esprit. Pour les tenants des autres écoles, il s'agit d'un état sans conscience et sans clarté. Or pour les Dzogchenpas se réclamant du Bön, ce bardo est précisément l'état du Corps Absolu de la conscience et n'est pas un néant obscur sans aucune clarté. Il correspond à l'expérience directe de l'état naturel avant l'émergence du souffle (rlung) et du dynamisme (rtsal) qui sont la source de l'avènement des manifestations de la Base (gzhi snang) de cet état naturel.
Dans le reste de l'article mentionné infra, je décris le processus de mort, avec la dissolution des éléments, ainsi que les deux bardos post-mortem correspondant aux numéros 5 et 6 de la liste donnée ci-dessus.
Le cycle d'enseignement le plus important, à la fois historiquement et doctrinalement (totalement imprégné de conceptions dzogchen, qui sont étrangères à la plupart des traditions Sarmapas), est le Karling Zhitro découvert au XIVè siècle par Karma Lingpa. La popularité de ce cycle, bien connu en Occident sous le titre de Livre des morts tibétain, s'est avérée telle que son texte a été, avec plus ou moins de remaniements, acceptés par les autres écoles, comme une vulgate complète des préceptes sur les états intermédiaires. Ce phénomène tient probablement à la systématisation des enseignements sur les différents bardos que contient ce cycle et dont une très brève partie seulement est accessible en langues occidentales. Le reste de la collection comprend un grand nombre d’instructions Dzogchen qui montre bien les rapports évidents entre les conceptions visionnaires du système de la Grande Perfection et les visions apparaissant à la conscience décédée.
Référence
“Les Etats intermédiaires”, in Jean Servier (éd.), Dictionnaire critique de l’Esotérisme, Puf, 1998, p. 493-496.