samedi 10 mars 2012

Les classifications des Tantras


Présentation
Dans l'article mentionné infra sous "Référence", je présente les classifications des Tantras selon les différentes écoles tibétaines. Si l'on fait abstraction du Bön (qui est quand même traité dans cet article), il existe deux classifications différentes : 
  • celle des Sarmapas, avec six véhicules et quatre classes de Tantras, et
  • celle des Nyingmapas, avec neuf véhicules et six classes de Tantras.

Chez les Sarmapas, les quatre classes de Tantras sont énumérées comme suit :
  • les Kriyâtantras (bya rgyud) ou Tantras de l'action,
  • les Caryâtantra (spyod rgyud) ou Tantras de la conduite rituelle,
  • les Yogatantra (rnal 'byor rgyud) ou Tantras de la pratique yogique, et
  • les Anuttarayogatantra (rnal 'byor bla med rgyud) ou Tantras du yoga insurpassable.

Dans les Tantras supérieurs (Anuttarayoga), l'accent est mis sur la pratique des Deux Phases (rim gnyis), i.e., la Phase de Développement (bskyed rim) et la Phase de Perfection (rdzogs rim). Grâce à la pratique de ces phases, l'adepte est à même de parvenir à l'Eveil beaucoup plus rapidement qu'avec les voies présentées dans les trois autres classes de Tantras.

"Ce dernier aspect est l'un des points essentiels sur lequel Tsongkhapa (1357-1419), autorité indiscutée de la tradition Gelukpa, insiste dans sa Grande Gradation des Formules (sNgags rim chen mo). Dans cet ouvrage monumental, il rejette l'affirmation de certains maîtres tibétains, qui l'ont précédé ou qui furent ses contemporains, voulant que la classification quadruple des Tantras réponde au besoin de conversion des quatre types d'hérétiques (mu stegs pa) reconnus en Inde (à l’époque du Buddha et de la mise en forme des premiers corpus tantriques). Pour lui, la question se pose différemment : ces Tantras s'adressent à des adeptes déjà convertis et, théoriquement, instruits dans les Sûtras et les autres branches de la connaissance bouddhique (discipline monastique, cosmologie, etc.). Les divers véhicules tantriques qui s'offrent à eux couvrent en fait les affinités naturelles qu'ils ont, leurs facultés et défauts, le passage d'un niveau à l'autre se faisant d'une manière graduelle."

Les Tantras de l'Action sont essentiellement centrés sur deux yogas : 1. le yoga avec caractéristiques (mtshan bcas kyi rnal 'byor), et 2. le yoga sans caractéristiques (mtshan med kyi rnal 'byor).

Les Tantras de la Conduite s'appuient sur des rituels extérieurs associés à une pratique intérieure centrée sur des recueillements méditatifs (ting nge 'dzin), et également focalisée autour des yogas avec et sans caractéristiques.

Les Yogatantras sont davantage centrés sur les pratiques méditatives et visualisatoires, avec l'application de principes tels que celui de la "visualisation de la déité devant soi" (mdun bskyed) ou la "visualisation de soi-même [comme la déité]" (bdag bskyed), etc.

Les Anuttarayogatantras sont répartis en deux grandes catégories : les Tantras-Pères (pha rgyud) qui mettent l'accent sur les Méthodes Salvifiques (thabs) et les Tantras-Mères (ma rgyud) qui insistent sur la Connaissance Sublimée (shes rab). 

"Certaines traditions y ajoutent la classe des Tantras Non-duels (gnyis med rgyud), dans laquelle Méthodes Salvifiques et Connaissance Sublimée sont présentées dans leur union non-duelle. Le Tantra principal de cette dernière catégorie est le célèbre Kâlacakratantra qui est considéré comme un Tantra Non-duel par la plupart des écoles réformées, à l'exception notable des Gelukpas qui le classent parmi les Tantras-Mères, étant donné l'accent mis sur la Vacuité dans ce Tantra. L'école fondée par Tsongkhapa préfère en outre présenter les Anuttaratantras en fonction du yoga du corps illusoire (sgyu lus), correspondant aux Tantras exposant les Méthodes Salvifiques et du yoga de la Claire-Lumière ('od gsal), renvoyant à la pratique de la Connaissance Sublimée. Les textes exégétiques de cette école disent ainsi que le système le plus représentatif consacré à l'exposé du yoga du corps illusoire est le Guhyasamâjatantra ; le Cakrasamvaratantra est le texte-racine qui expose principalement les techniques du yoga de la Claire-Lumière, tandis que le Yamantâkatantra traite des deux yogas, de manière équilibrée. A ces trois textes, les Gelukpas adjoignent le Kâlacakratantra qu'ils classent à part, étant donné les spécificités dont il jouit."

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Chez les Nyingmapas, la classification des Tantras supérieurs est très différente puisque leur présentation du cursus tantrique s'organise en fonction de trois Véhicules situé au sommet de leur édifice doxographique, à savoir :
  • le Mahâyoga qui met l'accent sur la Phase de Développement,
  • l'Anuyoga qui met l'accent sur la Phase de Perfection, et
  • l'Atiyoga dont la pratique se situe au-delà des deux Phases.

La quasi-totalié des textes Nyingmas appartenant à ces trois véhicules a été rejetée du canon officiel mais figure dans le Nyingmai Gyübum (rNying ma'i rgyud 'bum), la Collection des Tantras Anciens.

L'Atiyoga est un système particulier que l'on ne rencontre pas dans les traditions Sarmapas et leurs divers systèmes. Il se détache de tous les autres véhicules, “y compris du Mahâyoga et de l'Anuyoga, dans la mesure où il ne presente que très peu d'éléments philosophiques et pratiques communs avec eux. Son vocabulaire très particulier l'en distingue encore davantage et le positionne hors des appréciations et des caractéristiques des autres véhicules tantriques. A ce titre, il constitue, non un véhicule de transformation (bsgyur ba), comme les Tantras Supérieurs, mais représente ce que les textes désignent traditionnel-lement comme la Voie de la Liberté naturelle (rang  grol gyi lam)." 

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Dans le Bön, les Tantras sont répartis de manière spécifique en fonction de trois classifications, chacune d'entre elles correspondant à un moment de prédication du Buddha Tönpa Shenrab. On trouve ainsi :
  • les Quatre Porches et le Trésor Cinquième (sgo bzhi mdzod lnga),
  • les Neuf Véhicules (theg pa rim dgu) présentés dans trois classifications différentes, et
  • les Trois Révélations (bstan pa gsum).

Dans tous les cas, le Dzogchen figure au sommet de l'édifice doxographique du Bön et exprime la quintessence de tous les enseignements du Buddha lui-même.

Référence
— “La classification des Tantra”, in Jean Servier (éd.), Dictionnaire critique de l’Esotérisme, Puf, 1998, p. 1256-1259.

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